sorry to interrupt, but [ft. Kim Si An)

Tu es bloquée. Ça te fait mal de l'admettre, mais c'est la vérité telle que tu la connais, pure et dure. Ça fait des semaines que tu es sur cette histoire.  Des semaines que tu butes dessus. C'est comme si un mur invisible t'avait cernée, emprisonnée. Tu as tenté tous les angles d'attaque possibles, mais rien à faire. C'est la page blanche, le noir complet, le gouffre, l'abysse, le néant ....

C'est bien simple, tu en es devenue infernale. Enfin, plus que d'habitude quoi. Tes colocataires ont même eu le culot de te virer de l'appartement, sous prétexte que tes monologues sont tout bonnement insupportables. Faut dire que tu en es presque à t'arracher les cheveux à ce stade. C'est bien simple, tu en es arrivée à la seule et unique conclusion, qui est celle-ci : il te faut un œil extérieur. Et non, tu ne vas arracher l'œil de personne, ce serait bien trop salissant et ça ne servirait à rien.

Non, tu as déjà ton kit de secours personnel. Si An. Tu sais que si tu as besoin d'un avis intelligent et constructif - chose rare de nos jours - tu peux compter sur lui. C'est donc sans aucune hésitation que tu te rends à l'Université, lieu-dit de votre rencontre. Une foule de souvenirs se bousculent dans ta tête alors que tu foules le pavé et arpentes les couloirs. Il n'y a pas si longtemps que ça que tu as quitté ces bancs, mais c'est comme si une éternité s'était écoulée.

Grâce aux panneaux d'affichage, il t'est facile de savoir où il fait cours, d'ailleurs, il en donne actuellement un. Tu devras attendre. Une légère pointe d'irritation quant au fait de devoir patienter, tu te diriges vers l'amphithéâtre indiqué.

On peut ouvrir une porte le plus discrètement du monde, mais quand on est à la fac, c'est dérisoire, toutes les personnes présentes se retourneront quand même pour voir ce qui se passe. Et tu n'as pas échappé à la règle.

Pas le moins du monde impressionnée par la foule d'étudiants qui te dévisagent, tu te contentes de t'avancer sous leur regard curieux, faisant un grand sourire et un geste de la main à Si An, pas vraiment par politesse, mais surtout parce que tu sais que ça va le perturber. Oui. Tu aimes le taquiner, c'est tellement facile et tellement drôle, c'est plus fort que toi.

D'un air innocent, tu t'installes au dernier rang comme si de rien n'était, fixant droit devant toi, le cerveau toujours en ébullition. C'est que ce sujet t'accapare le moindre neurone, c'en est presque fatiguant. Et pendant que tu cherches une solution à ton problème, attendant gentiment que le cours se termine pour pouvoir kidnapper leur prof adoré, tu lances des petits regards aux élèves qui osent te fixer sans écouter. Parfois joueur, leur faisant coucou en souriant, parfois provocateur en haussant un sourcil et levant la tête, comme si tu étais prête à te battre. Leurs réactions te divertissent énormément, mais le meilleur, ça reste quand même ce cher Si An. Pauvre Si An, se retrouver avec toi dans son existence, y-a-t-il pire châtiment?

Debout sur l’estrade de l’amphithéâtre, j’entame mon troisième cours de la journée. Le sujet abordé ? La psychologie sociale, une matière impliquant la rencontre de deux genres, la sociologie et la psychologie. Bien que ce ne soit pas la matière la plus facile qu’il soit, je la trouve passionnante et la considère être mon domaine de prédilection tant par l’affection particulière que je porte à cette discipline en plus des nombreux travaux passionnants que j’ai pu conduire et réalise encore à l’actuelle. Je pourrais parler des heures et des heures de l’influence que la société en général peut avoir sur notre propre comportement ou même comment elle nous façonne en soi, mais à l’heure actuelle, j’essaie d’expliquer à mes élèves le travail d’un grand psychologue social « Allport » sur « la nature des préjugés » et plus précisément son concept d’échelle.
Alors que je suis plongé et concentré comme jamais dans mon explication, tandis que les plus assidus notent et que les moins sérieux commencent à se déconnecter, les portes de l’amphithéâtre s’ouvrent soudainement dans un grand fracas qui m’a même provoqué un sursaut. Comme tous les autres, je regarde alors ce que peut bien être la cause de tant de vacarme et d’un coup, je pâlis… C’est comme si je venais de voir un fantôme ou plus précisément, mon pire cauchemar se manifester devant moi. En fait, c’est le cas ! Mon pire cauchemar est en train de se passer là maintenant avec l’arrivée de la terrible So Lin !
Je ne comprends pas la raison de sa venue surtout qu’elle a dû remarquer qu’à l’heure actuelle, je suis en train de faire cours. Déjà qu’en temps normal, je m’efforce de l’éviter le plus possible tant elle arrive à me déstabiliser par son caractère de conquérante et limite de persécutrice, si en plus elle me poursuit jusque dans l’amphithéâtre et en plein cours, ça ne va pas aller…

Son arrivée me rend tellement nerveux que les mots ne viennent plus et mes mains deviennent moites. Cette dernière, quant à elle, ose faire semblant de rien et semble même se réjouir de la situation actuelle. J’aimerais pouvoir lui demander ce qu’elle peut bien faire ici ou encore lui dire de sortir, mais le contexte me rappelle que je suis en plein cours et que je suis le professeur. Toutefois, je ne semble pas être le seul à avoir oublié le contexte actuel puisque la grande majorité des élèves s’intéresse désormais à la perturbatrice de première qui semble même s’en amuser. Ne pouvant pas laisser mon cours d’aujourd’hui devenir un échec, j’essaie alors de me reprendre.
Je me racle la gorge afin d’essayer de captiver l’attention de mes élèves et tâchant de rester le plus impassible et calme que possible, je dis : « Je vous prierai de pa…payer attention au cours, s’il vous plaît. ». Zut, j’ai flanché, ma voix s’est brisée au moment du « p » et voilà même que les gouttes de sueur commencent à perler davantage, car je redoute que la terreur du journalisme ose me taquiner sur cela.

Si An calme toi, So Lin est assez raisonnable pour savoir se tenir en place, elle va juste s’amuser de la situation, mais n’osera pas aller plus loin, pas vrai ? L’ombre d’un instant le doute m’envahit concernant ma propre question et ce qui était une tentative pour me rassurer, échoue… So Lin et raisonnable ne vont pas souvent bien ensemble, surtout quand elle a une idée bien précise en tête. Moi qui aimerais pouvoir me montrer optimiste et zen, de savoir cette perturbatrice de première, présente ici sur « mon territoire », là où je pense être le plus cool et au moins un minimum respecté me fait perdre mes moyens. Quelle image vais-je renvoyer aux élèves ? Je vais passer pour un gros nul et ça je ne le cautionne pas ! So Lin tu ne gâchera pas tout ce que j’ai durement construit !

« Je vous ai dit de payer attention sinon sortez si vous ne comptez pas suivre le cours. » Finis-je par perdre patience après que mon premier avertissement n’ait pas eu l’effet escompté sur les élèves dissipés et cette journaliste de malheur qui les provoque. D’ailleurs, cette phrase était particulièrement adressée à cette dernière que j’avais fixée en parlant, espérant lui faire comprendre là que si elle ne comptait pas au moins se montrer discrète, elle pouvait sortir. Pour une fois, j’avais osé m’affirmer en quelque sorte devant So Lin et le peureux que j’étais, ne put s’empêcher de déglutir difficilement après avoir réalisé ce moment d’audace inconsciente. Allait-elle me le faire payer ? Je n’espère pas…