"Tu nais, tu vies, tu meurs et tu pars en fumée."
Le 27 novembre 1994, Jae Sun ouvre ses yeux sur le monde. Il pleure, il crie, il est sale mais ses parents l'aiment et pleurent avec lui. Ses parents, parlons en. Le petit est né d'une mère française et d'un père coréen. Les deux adultes s'aiment. Ils se sont rencontrés dans une église en France. Ils sont chrétiens et pratiquants. Il n'a pas demandé à naître ici ce bébé mais il y est pourtant. Des tonnes de projets naissent dans l'esprit de ses parents. Il sera avocat, médecin, maître de conférence, prêtre ou pourquoi pas même président ? Les pauvres étaient loin de se douter de ce que l'avenir leur réservait.
"On mélange pas les duplos et les légos."
Pendant sept ans Jae Sun est l'enfant parfait. Il va à l'église le dimanche dans son petit costard trop mignon. Il se fait pincer les joues par des vieilles qui sentent mauvais, il fait sa prière tous les soirs et avant de dîner, il ne mange pas de viande le vendredi et enfin il accepte sans broncher les interdictions de sa mère concernant certaines choses comme les jeux vidéos ou les dessins animés. Cependant, il y a cet autre enfant dans la rue. Cet enfant qui a le droit de faire ce qu'il veut, de regarder ce qu'il a envie de regarder, de manger tout ce qu'il désire. Jae Sun s'est lié d'amitié avec cet enfant. Ils jouent très souvent ensemble. Cette amitié dure pendant deux années. Deux belles années où Jae Sun attend l'été pour pouvoir sortir. Il fête son neuvième anniversaire. L'autre est plus âgé de deux ans. Ils sont tous les deux du côté de la maison. L'aîné embrasse le cadet. Jae Sun est jeune. Il ne comprend pas. Tout ce qu'il sait c'est qu'il ne trouve pas ça désagréable. Mais c'est court. Très court. Trop court. Le père de Jae Sun arrive. Il les a pris la main dans le sac. Il gifle son fils avant de le tirer à l'intérieur. C'est péché. Il le sait. Péché de colère. Il lui reproche de l'avoir forcé à faire quelque chose de la sorte. Son ami, le seul, il ne l'a plus jamais revu. C'est à ce moment qu'il part de Seoul pour aménager à Busan avec ses parents et son frère âgé de six ans. Bientôt sept.
"Tu mélanges alcools forts et drogues dures, danger."
Il ne l'a plus jamais revu mais il ne l'a aussi jamais oublié. Jae Sun a quinze ans. Il en a marre. Il sort du rang. Au lycée ses parents ne sont pas là. Il peut être qui il veut. Il profite. Il fait des tonnes de rencontre plus ou moins mauvaises pour lui. Il apprend plein de nouvelles choses. La drogue, la sexualité, l'alcool, la liberté. Enfin c'est comme ça qu'il le voit. Il se sent libre. Un soir il rentre chez lui et il annonce à ses parents qu'il rejette la religion. C'est une nouvelle dévastatrice pour les deux adultes qui ont, eux aussi, pris de l'âge. L'année qui suit est catastrophique. Jae Sun fait n'importe quoi et tous les jours ça gueule à la maison. Rien ne le retient. Il leur reproche beaucoup de choses et eux lui opposent que c'était pour son bien. Que c'était comme ça que les choses devaient être. Il s'en moque bien. Ce n'est pas important et surtout c'est trop tard. C'est à cette époque qu'il découvre son don. Il est souvent en colère. Quand il est seul il se défoule. Quand il est seul la lumière autour de lui change selon son humeur. Il n'y prête pas plus attention. Il est content de faire partie de ces gens qui ont des dons et il se promet de ne jamais en parler à personne. Ce sera son truc. Malheureusement il oublie rapidement les choses le gamin. Il oublie souvent l'existence de ce don. Il oublie de le développer. Parfois il refait surface mis il n'y prête pas attention.
"T'as un oeil au beurre noir, t'as la gueule d'un panda."
Dix-huit ans. La majorité. L'âge que tout le monde attend avec impatience pour finalement se rendre compte que ça ne change strictement rien. L'ambiance s'est apaisée. Ses parents essayent tant bien que mal de s'y faire même s'ils ne savent pas tout. Leur fils leur cache beaucoup de choses qu'il vaut mieux qu'ils ne sachent pas. Il vit encore chez eux mais bon. Vu le peu de temps qu'il passe à la maison ce n'est pas tout à fait correct de le dire. Il reçoit tout le temps des messages douteux. Sa mère en a déjà vu quelques-uns. Des propositions indécentes faites à son fils. Des propositions qui la font pleurer tous les soirs. Heureusement qu'elle ne sait pas pourquoi il fait ça. Tout ce qu'elle sait c'est qu'il le fait. Avec des hommes. Parfois il revient avec des fringues qu'elle n'a jamais vu ou même un nouveau téléphone. D'autre fois il revient blessé. Il ne se contente pas d'offrir son corps. Il travaille pour des "amis" même si ça lui rapporte des ennuis. C'est comme ça. L'argent est important à ses yeux. Elle se doute de ce qu'il se passe mais elle refoule l'idée. Jae Sun a besoin d'argent et Jae Sun est gâté par la nature. Ce serait bête de ne pas en profiter non ? Il ne se voit pas comme une catin. Il prend du plaisir à faire ce qu'il fait et il ne le fait pas avec n'importe qui. Il se voit juste comme quelqu'un de différent. Les gens de son âge l'intéressent peu. Il préfère les plus vieux qui font les métiers que ses parents rêvaient pour lui. Ce style de vie lui permet de faire plein de choses. Ses parents ne lui donnent pas d'argent faut bien qu'il en trouve non ? Il en a besoin de cet argent pour s'acheter ce qui lui permet d'être lui-même. La drogue prend une place importante dans sa vie. Sa mère le sait aussi. Pour lui faire plaisir il va régulièrement voir des personnes qui peuvent le sortir de là soi-disant. Il s'en fou. Mais ça fait plaisir à maman alors.
"T'es célibataire tu t'endors avec la télé."
Aujourd'hui il a bien grandi le petit. Il a vingt-deux ans. Il a pu s'installer dans un petit appartement en ville. Il a arrêté les services à ses "amis" pour se concentrer exclusivement sur ses amants. Il passe voir sa mère régulièrement pour lui donner des nouvelles. Elle a attrapé des cheveux gris et des rides. Elle compte beaucoup sur le petit frère de Jae Sun pour sauver l'honneur. Il le sait ça, il n'est pas aveugle. Mais il s'en fout. Ce n'est plus son problème. Il ne comprend pas pourquoi sa mère ne voit pas simplement son bonheur. Il sait que c'est dangereux ce qu'il fait. Il n'est pas bête non plus. Si elle s'inquiétait simplement ce serait mieux. Mais non. Elle n'était pas inquiète pour son fils mais pour elle-même. Les chrétiens ça parle beaucoup. Quelle honte pour sa mère d'avoir un fils comme Jae Sun. Il s'en fout. En réalité ça le dégoûte même. C'est pour cette raison qu'il n'a aucune pitié. Donc il mène sa vie. La journée il sert au bar et la nuit il sert son corps sur un plateau. Il a toujours l'impression de manquer d'argent alors qu'il s'en sort. Il a gardé les mêmes contacts qu'à l'époque. Il ne couche pas avec n'importe qui. Il n'est pas fou. Il songe à s'offrir un chat ces derniers temps. Il aimerait donner un peu d'affection et en recevoir. Ou pourquoi pas une tortue ?