J'aime croire que ma vie à quelque chose de peu banale et c'est possible que ça soit le cas à vrai dire. Cependant, j'ai toujours eu un peu de mal à prendre du recul lorsque cela me concerne. Je peux toutefois pointer du doigt le comportement exécrable de mon père qui, durant toute mon enfance a toujours été, aussi loin que je m'en souvienne en tout cas, une personne violente. Les raisons ? Je n'ai jamais fait que les supposer sans osée les demander à ma mère qui en était la seule et unique victime. L'ambiance à la maison n'a jamais été aussi chaleureuse et tranquille que depuis qu'il est parti avec ses affaires sous le bras il y a de cela cinq ans. S'il ne tenait qu'à moi, je l'aurais mis dehors bien plutôt que ça. Cependant, je dois bien admettre que son départ n'a pas aidé le ménage au niveau financier, ma mère ayant été forcée de prendre un second job pour nous permettre, ma sœur et moi de vivre comme avant et de dépenser sans réfléchir. Je m'en veux un peu de ça. D'être si difficile et de coûter cher à ma maman.
À l'école, je me suis toujours contentée d'avoir la moyenne. J'ai tout de même fait un effort pour la terminale, histoire d'augmenter mes chances d'être admise dans une université convenable. Et puis je voulais surtout suivre ma meilleure amie. Alors si à cette période d'insouciance je n'avais que les garçons en tête (c'est d'ailleurs toujours plus ou moins le cas), c'était aussi une période pénible et délicate pour ma meilleure amie Ah Ri. De son expérience malheureuse j'ai appris à me méfier de mes propres sentiments. Plus qu'un exemple que je ne voulais pas suivre, c'est une véritable protection que je me suis construite. Qui y a t-il de mal à tomber amoureuse et à s'attacher aux garçons ? Objectivement je suis bien incapable de répondre à cette question, toutefois, on dit que le temps soigne les blessures, pas vrai ? Ah Ri aujourd'hui va parfaitement bien. J'envie même la stabilité de son couple, là où moi je ne suis capable de me poser avec un garçon que quelques mois avant d'avoir l'envie irrépressible de m'évader. Je n'ai jusqu'ici encore jamais trouvé un garçon qui vaille la peine. Et puis, j'ai une sainte horreur d'être considérée comme acquise. J'aime que l'on s'occupe de moi, que l'on me couve d'attention tout en me laissant vivre ma vie à côté. Et oui, Ah Ri me le dit souvent, j'ai des goûts de luxes en ce qui concerne les garçons, ce qui explique que je les choisis avant tout par critère de beauté avant de m'intéresser à leur vie profonde. Je ne sors pas avec des imbéciles non plus hein ? Je sélectionne si vous voulez… Mais le choix se fait vite. Je marche aux coups de foudre, aux coups de coeur.
Et puis il y a mon entrée à l'université. Rien de bien folichon j'ai envie de dire, mais tout de même, avec ma famille et Ah Ri on a marqué l’occasion. Je me souviens combien j'étais fière d'avoir intégrée l'université de mon choix et d'être enfin considérée comme une adulte. Bien sûr, j'ai vite déchanté. Au final l'université n'est qu'un cap excitant à franchir mais où la magie se dissipe au bout d'un mois pour les plus patients. J'ai tout d'abord opter pour une filière artiste, espérant naïvement m'y complaire, mais au lieu de ça, je me suis vite retrouvée à fuir les cours d'histoires de l'art interminables et redondants de madame Park. L'art finalement, je préférais l'exprimer chez moi, sur ma tablette graphique que sur les bancs crasseux des locaux de la fac. Et puis, rentrer dans un moule de conformité ce n'est pas pour moi, pas que je souhaite à tout prix me distinguer des autres, mais tout de même… De ce fait, l'année suivante, je me suis réinscrite en première année, mais cette fois, c'est la philosophie que j'ai tentée d’apprivoiser. Erreur de jugement. Erreur de parcours. Cette année fut tellement soporifique que je n'ai rien d'intéressant à vous en dire. De toute manière vers la mi de l'année, j'ai même abandonnée l'idée d'essayer de m'accrocher. J'avais une bonne excuse en plus : un concours de talent auquel je me suis inscrite sur un coup de tête. Je n'avais jamais envisagée de devenir une idole et si, sur le moment, cette perspective m'avait semblé être alléchante en plus d'être une étape à franchir pour devenir mannequin (ou pour m'y reconvertir après), ce n'est qu'une fois dans le feu de l'action que l'on réalise de la difficulté de la chose. Le concours n'a pas abouti pour moi. Je ne suis pas devenue une chanteuse, une rappeuse, une danseuse ou quoi que ce soit, néanmoins, bien que ce fut dur, cette expérience-là, je ne l’oublierais jamais et si elle était à refaire, j'y retournerais sans hésiter.
Il y a dix mois, alors que j'étais encore sur Séoul, ma jeune soeur Na Young s'est faite renverser par une voiture alors qu'elle rentrait d'un tutorat. Le choc fut tel qu'elle perdit l'usage de ses jambes. L'accident fut un coup dur pour le foyer, pas seulement au niveau financier, mais aussi bien sur le plan morale. Depuis ma sœur ne marche plus et il est peu probable qu'elle puisse un jour (pas avec nos revenus actuels) marcher à nouveau. Depuis, ma mère n'a cessé de se battre tous les jours pour obtenir une aide financière afin d'assurer les soins de Na Young. C'est pour elles que j'ai décidée d'arrêter mes conneries et l’université. Et aussi pour ne pas la laisser seule à la maison trop longtemps. Pour ne pas l'abandonner dans cette épreuve d'acceptation d'elle-même. Depuis ce jour, cette dernière a perdu de son aura enfantine et adorable. De la petite fille joyeuse et vive, il ne reste plus qu'une jeune adolescente morose et renfermée. On a tout essayé pour lui rendre le sourire, à commencer par lui trouver un professeur particulier pour lui donner cours à la maison (Na Young ne souhaitant plus se mêler aux autres étudiants de son âge, ne supportant plus les regards perplexes et les élans de pitié à son égard, ce que je peux aisément comprendre). Néanmoins si je n'approuve pas véritablement ce choix, je fais mon possible pour m'occuper d'elle dès que je le peux. Elle est ma petite sœur et je l'aime plus que tout.
À la maison, tout à changer. Il y règne un sentiment de solitude et un silence pesant. Entre les refus incessants de ma jeune cadette à vouloir faire des efforts et les factures de soins s'accumulant au pas de la porte, j'ai été forcée de quitter l'université (sans trop de regret) pour me dénicher un petit job à mi-temps (ne serais-ce que pour avoir le temps de m'occuper de Na Young lorsque son professeur particulier n'est pas là), seulement, ce simple revenu ne suffisant pas, il me fallut chercher plus loin. Impossible au vu de mes compétences de prétendre à une meilleure place. C'est à ce moment précis où je décidais de virer ma vie à 360 degrés et de repartir à zéro. J'avais besoin d'argent et l'organisation secrète des shadow était un moyen facile d'en obtenir. Comment j'y suis entrée ? Rien de plus simple. Une rencontre dans un bar, un peu de chance et me voilà à leur merci. Entrer dans les shadow, c'est comme signer un contrat d'exclusivité pour toute une vie ou presque. Ce qui se passe derrière les murs du quartier général ne doit pas quitter les murs du quartier général. Et mon rôle au sein de l'organisation est simple : dénicher le plus de gens dit spéciaux et donner leur nom. Ce qui advient d'eux ne me concerne pas et puis, ma conscience en souffre déjà assez mais pour Na Young, je ferai l'impossible. Sauf vendre mes amis proches. Tout de même.
L'histoire de ma vie. Elle se résume à écumer les lieux fort fréquentés, à charmer, à séduire et à rapporter. J'ai mis de côté mes rêves de mannequinat pour me fondre dans les ténèbres de l'organisation. Si j'aime ce que je fais ? Plus vraiment. Au départ, je pensais faire ce qui était juste, mais je n'en suis plus bien sûr. Peut-être serais-je capable de faire bouger les choses, de faire comprendre aux shadow que ces gens là, ces bêtes de cirque qu'ils traquent ne sont rien d'autres que des gens moins chanceux que nous. La malchance fait-elle de nous des gens à part ? Si c'est le cas, alors ma famille entière est condamnée.